Attaque à Arras : que changerait la loi immigration si elle est adoptée ?(Apaydin Alain/ABACA)abacapress
L'attaque d'un établissement scolaire d'Arras le 13 octobre, imputée à un Russe radicalisé en situation irrégulière, relance l'argumentaire de l'exécutif sur sa future loi sur l'immigration. Le texte, mesure de fermeté, se présente comme l'outil "miracle" contre les attaques de radicalisés. Vraiment ?
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Au lendemain de l'attaque qui a fait un mort dans un établissement scolaire d'Arras le vendredi 13 octobre et endeuillé une nouvelle fois l'Education nationale, la majorité dégaine à tout va son projet de loi sur l'immigration. A quelques semaines du début des discussions sur le texte au Sénat (le 6 novembre), l'exécutif veut croire qu'il s'agit du seul moyen de prévenir les drames tels que celui d'Arras, qui survient trois ans à peine après celui de Samuel Paty.

"Pourquoi la famille du terroriste d'Arras n'a-t-elle pas été expulsée en 2014 quand a été prononcé à leur encontre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ?" gémissent les ténors du gouvernement depuis l'attaque il y a quelques jours. Ainsi Mohammed Mogouchkov, Russe alors âgé de 11 ans, et ses proches ont échappé à une expulsion il y a 9 ans, par le biais de la circulaire Valls qui autorise notamment la régularisation des enfants scolarisés d’étrangers sans papiers (ce que le gouvernement n'a pas manqué de reprocher à ses prédecesseurs à Matignon).

La protection des étrangers en question

Depuis sa majorité, Mohammed Mogouchkov était en situation irrégulière mais non expulsable. Ainsi, l'article L423-21 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) dispose que les étrangers qui peuvent justifier d'une présence "habituelle" sur le territoire français avant d'avoir 13 ans et en compagnie de leurs parents peuvent bénéficier d'un titre de séjour d'un an et renouvelable de plein droit. Cette protection cède si l'étranger concerné porte atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou est lié à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, la haine, ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes". Mais Mohammed Mogouchkov, bien que fiché S depuis juillet pour des soupçons de radicalisation islamiste, n'avait jamais écopé d’une condamnation judiciaire en ce sens avant l'attaque.

La loi immigration : solution magique ? 

"Il y a 4 000 étrangers délinquants que je ne peux pas expulser du territoire national […] parce que la loi empêche de les expulser", a regretté Gérald Darmanin samedi 14 octobre. Le texte à débattre doit, selon le ministre de l'Intérieur permettre "d'expulser tous ceux qui, même arrivés à l'âge de 2-3 ans, sont étrangers et méritent de retourner dans leur pays d'origine (...) parce que ce sont des dangers en puissance". La solution est simple, selon Elisabeth Borne : "le projet de loi immigration […] lève cette protection et permettra d’expulser des étrangers délinquants ou suspectés de radicalisation." Le texte doit autoriser la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière menaçant gravement l’ordre public, y compris lorsqu’ils ont des liens personnels et familiaux en France (étranger arrivé en France avant ses 13 ans, conjoint de Français...). Reste à éclaircir la manière dont sera appréciée cette "menace" qui se passe de condamnation. 

Punir, ça suffit ?

L'Education a pâti de l'attaque, la réponse à la radicalisation islamiste peut-elle se trouver dans l'éducation ? "La démarche sécuritaire n’est pas obligatoirement la meilleure solution, estime pour La Croix Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation, membre de la chaire Unesco de prévention des radicalisations. "Elle est quand même nécessaire, car une société a besoin de se sentir en sécurité" mais "c’est de la politique, ce n’est pas de l’action civique. Ça ne fonctionnera pas. Prévenir et punir ne suffit pas, il faut éduquer." Il estime nécessaires trois formes d'éducation : la citoyenne, qui se fait à l'école, l'éducation numérique, qui doit servir au commun plutôt qu'à diviser, et l'éducation de l'Etat, qui doit se faire par le vivre-ensemble. "On dit souvent que notre société se radicalise : ce n’est pas qu’elle est radicalisée, ni terroriste, c’est que le vivre-ensemble, le besoin citoyen de traiter collectivement les problèmes avant de chercher son propre intérêt est mis à mal", analyse Séraphin Alava.

Une loi en danger 

Quoiqu'il en soit, la loi immigration s'annonce d'ores et déjà difficile (impossible?) à arracher au Parlement, son article 3 faisant office de "ligne rouge" à la fois pour la droite. Présenté par la majorité comme une mesure d'équilibre de texte, il prévoit la régularisation de travailleurs sans-papiers dans les métiers "en tension" et doit constituer le volet "humaniste" d'une loi qui par ailleurs se veut outil de fermeté. L'aile gauche de la majorité a fait de l'article 3 une condition sine qua non à l'adoption du texte, tandis que le droite freine des quatres fers, dénonçant une mesure "appel d'air". Dans ce contexte, les évènements pourraient apporter du poids à la droite dans les débats, et renforcer les restrictions prévues dans le texte, au détriment des aides. Et quand bien même cette ligne rouge cèderait, les députés LR agitent désormais la carte du référendum sur le nombre d'étrangers à accueillir. "La seule solution, c’est de changer de cadre et donc de modifier notre Constitution par référendum. C’est ce que nous proposons", a affirmé au Monde Eric Ciotti, le président du parti.