Ultradroite : doit-on craindre une "guerre civile" ? (Ait Adjedjou Karim/ABACA)abacapress
Les militants d'ultradroite on fait parler d'eux récemment. A Romans-sur-Isère le 25 novembre, ils ont été jusqu'à s'attaquer à un quartier. Quelle menace représentent-ils pour l'Etat de droit ? Entretien avec le politologue et spécialiste d'extrême-droite Jean-Yves Camus.
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Blousons noirs, cagoules, battes et mortiers. Samedi 25 novembre à Romans-sur-Isère (Drôme), l’ultradroite a sorti ses vieux apparats, ses alliés de toujours, les outils de sa guerre. Sa vieille rengaine aussi : “On est chez nous”, ont crié les émeutiers alors qu’ils marchaient vers le quartier de la Monnaie, où sont supposés habiter les meurtriers du jeune Thomas, tué à l’arme blanche dans la bourgade voisine de Crépol le 18 novembre. Les émeutiers ont opéré une “expédition punitive”, endiguée par les forces de l’ordre, et qui s’est soldée par des condamnations à la prison ferme pour 6 militants. “Quand on vient avec des bâtons on ne vient pas pour défendre une cause mais pour attaquer”, a tranché la procureure de Valence. Une émeute fomentée par la fachosphère sur Telegram, qui aurait bien pu tourner une nouvelle fois au drame lorsqu’un des émeutiers a été sorti de force de son véhicule et pris à partie par des habitants.

Une volonté de "basculer dans la guerre civile"

En l’espace de quelques jours, Romans-sur-Isère est devenu la vitrine peu reluisante d’une France morcelée, écartelée entre précarité et xénophobie. "La France a évité un scénario de petite guerre civile", a jugé mardi 28 novembre sur France Inter le ministre de l’Intérieur. Gérald Darmanin n'a pas ergoté sur la formule. Selon lui, seule l'intervention des forces de l'ordre a permis samedi "d'éviter un scénario à l'irlandaise" (un déferlement de violence imputé à l'extrême-droite a touché un quartier de Dublin après une attaque au couteau jeudi 23 novembre, Ndlr) et un accaparement de la fonction punitive par les ultras. “Il y a dans l'ultradroite une mobilisation qui veut nous faire basculer dans la guerre civile", a assuré le ministre de l'Intérieur. La galaxie de l’ultradroite met-elle en danger notre Etat de droit ? Planet a interrogé le politologue et spécialiste de l’extrême-droite Jean-Yves Camus.

Planet : Gérald Darmanin a qualifié les évènements de Romans-sur-Isère de “petite guerre civile”. Est-ce justifié ? 

Jean-Yves Camus : “J’ai analysé cette déclaration comme une manière de dramatiser le débat, parce que soyons clairs : ce que l’on risquait de voir à Romans-sur-Isère c’est un affrontement entre 80 militants d'extrême droite et des jeunes d’une cité. La vraie guerre civile ça serait si on avait des centaines de militants de l’ultra droite affrontant les émeutiers qui ont semé le désordre après la mort de Nahel. Mais lors des larges émeutes après la mort de Nahel, on n’a pas vu les ultras : ces gens ont le sens du rapport de force et savent qu’il y a un risque pour eux. Venir à 80, de toute la France, à Romans-sur-Isère, c’est dans le leurs cordes. 

On est aussi très loin des affrontements aux Etats-Unis après la mort, pour ne citer que lui, de Georges Floyd. Les propos de Gérald Darmanin sur la “petite guerre civile” extrapolent la situation et c’est prendre pour une réalité ce qui est le fantasme de ces militants. 

Fantasme ? Les “ultras” veulent-ils la guerre civile ? 

Bien sûr qu’ils y pensent : c’est eux qui ont cette vision d’une France au bord du chaos où ils se retrouveraient, eux, à devoir défendre le pays en déclenchant une guerre civile. Dans l’idéologie, elle doit déboucher sur le renvoi définitif et d’une manière coercitive de toutes les personnes d’origine immigrée. C’est un fantasme. 

Sur Telegram, un certain nombre d’éléments de l’ultra droite prônent la guerre civile. On voit des discours assez affolants qui disent qu’il faut souhaiter l’affrontement et faire tout ce qu’il faut pour qu’il arrive le plus vite possible afin d’en sortir vainqueur. 

Envisagent-ils même une guerre de civilisation? 

Oui, et même au-delà. Ça peut être considéré par certains comme une guerre raciale. Certaines personnes s’embarassent de précautions, et expliquent qu’on parle de la civilisation judéo-chrétienne contre l’islam, mais il a aussi des gens qui vous expliquent tout simplement que c’est une guerre des blancs contre les autres. 

Quelle est l’ampleur de la menace représentée par la galaxie d’ultradroite aujourd’hui ? 

Les émeutiers sont de plus en plus jeunes, comme les islamistes radicalisés, et souvent auto-radicalisés sur les réseaux sociaux. Ça pose des problèmes juridiques liés à la régulation sur les réseaux sociaux. Il faut à tout prix éviter d’entrer dans une situation qui dégénère. A Romans-sur-Isère, il s’en est fallu de peu pour que la situation dégénère : un jeune militant d'extrême droite a été extrait de sa voiture et malmené. Il s’en est fallu d’un cheveu. En 2013, c’est un militant anti-fasciste, Clément Meric, qui est décédé lors d’un affrontement contre des militants d’ultradroite.

Mais la vérité c’est que quand on voit le nombre des fichés S d’ultra droite et ceux islamistes, on est quand même dans un rapport de force qui est complètement différent (d’après un rapport d’information du Sénat de 2018, environ 17 000 fichés S étaient des personnes appartenant à la mouvance radicale islamiste, Ndlr). En France on parle de 1 300 personnes fichées S pour l’ultradroite (d’après Gérald Darmanin en octobre, Ndlr). En tout en France, près de 3.300 personnes appartiendraient à cette mouvance identitaire, selon un récent rapport parlementaire.

Puisent-ils leur force des discours de partis d’extrême-droite ? 

Ils utilisent les faits divers pour amplifier l’adhésion à leurs discours, mais globalement sur Telegram, le discours qui ressort est plutôt celui du rejet des partis. Il s’agit de dire que, de toute façon, les partis politiques ne peuvent plus rien et que le Rassemblement national comme Reconquête sont des partis du système. 

Doit-on craindre une violence qui se substitue à la violence d’état comme le dit Gérald Darmanin ? 

Absolument,  c’est ce qu’ils ont tenté de faire à Romans-sur-Isère. Il y a une enquête en cours sur le meurtre de Thomas à Crépol et ce n’est pas aux citoyens de se faire justice eux même. On ne peut pas tolérer qu’après chaque crime, il y ait des manifestations violentes qui de surcroît ne visent pas forcément les gens impliqués et qui rajoutent du désordre. 

L’annonce de la dissolution de plusieurs groupes d’ultradroite vous semble-t-elle utile ? 

Les dissolutions ne résolvent pas tout : à Romans-sur-Isère il y avait des gens appartenant à des groupes qui ont pris la suite de Génération identitaire (mouvement d’ultradroite dissous en 2021). Il faut comprendre qu’éradiquer ce type de groupe n’est pas possible. Dans toutes les démocraties il y a une frange radicale à gauche comme à droite. Il y a toujours des gens racistes, des antisémites violents. Un exemple criant de cela est la première dissolution d’un groupe d'extrême droite en France, intervenue en 1947. On est tout juste 2 ans après l’armistice de 1945. Le procès d'épuration ne sont même pas terminés, les procès des collaborateurs ne sont pas finis, qu’on a déjà des groupes d’ultradroite qui se créent. Cette violence doit être contenue, gérée, mais on n’en viendra jamais à bout.