Fort de Brégançon : ces moments qui ont marqué l'HistoirePool/ABACAabacapress
De Charles De Gaulle à Emmanuel Macron, les présidents français se sont tour à tour approprié le Fort de Brégançon. Mais entre baignades et footings, les chefs d'Etat ont fait du fort un instrument politique et diplomatique.
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La ville balnéaire de Bormes-les-Mimosas (Bouches-du-Rhône) attire chaque années locaux et touristes sur son littoral ensoleillé. Mais si les plages blanches de cette partie de la côte ne manquent pas d'intérêt, c'est principalement son petit Fort qui attise la curiosité. Lieu de villégiature détaché du continent par une mince bande de terre, le Fort de Brégançon accueille regulièrement les présidents français et leurs familles, pour quelques jours dans l'intimité, et surtout en toute sécurité. Début août, Emmanuel Macron s'est rendu dans la résidence historique pour 3 semaines de vacances plutôt studieuses, à la veille d'une rentrée qui s'annonce mouvementée, avec notamment l'examen au Parlement d'un projet de loi sur l'Immigration.

Le président qui sort à peine d'un remaniement estival et de la crise de la réforme des retraites (car à ce stade on peut la nommer crise), a déjà profité de son séjour au calme pour s'entretenir lundi avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. Peut-être recevra-t-il également un dirigeant étranger dans le petit Fort pendant ses vacances.

Le Fort, levier diplomatique sous Emmanuel Macron

L'évènement n'aurait rien d'inédit. Le président français a déjà invité dans la villégiature de l'exécutif de nombreux politiques internationaux. Parmi les plus illustres : Theresa May, alors Première ministre britannique, en 2018. En 2019, C'est Vladimir Poutine qui passe la porte du Fort. Arrivé en hélicoptère, le président russe offre un bouquet de fleurs à Brigitte Macron. "La relation de la France et de la Russie est absolument déterminante. Je sais tout ce qui a pu nous séparer, les malentendus des dernières décennies. Je sais aussi les débats qu'il y a sur la relation avec l'Occident. Je sais une autre chose, c'est que la Russie est européenne, très profondément, et nous croyons dans cette Europe qui va de Lisbonne à Vladivostok", avait alors déclaré le chef de l'État."

Scène d'un autre temps. L'ambiance tournera au vinaigre plus tard quand les deux présidents s'accusent mutuellement de violences sur des manifestants dans leurs pays respectifs. "Vous savez que pendant les manifestations des gilets jaunes, plusieurs dizaines de personnes ont été blessées. Et on ne veut pas que des événements pareils arrivent dans la capitale russe", avait affirmé le chef du Kremlin.

Les président de la Vème et le Fort : la politique dans la détente

En continuant de représenter la France depuis la presqu'île, le président marche dans les pas de ses prédecesseurs, qui ont eux aussi fait entrer le fort dans la pérennité de la gouvernance français. C'est Charles De Gaulle qui, le premier, s'est établi à Brégançon, y passant une (mauvaise) première nuit en 1964. En 1968, le fort de Brégançon fut affecté définitivement au ministère des Affaires culturelles pour servir de résidence officielle. A sa suite George Pompidou s'y rendra après sa victoire en 1969, pour y passer plusieurs séjours, été comme hiver. Il y passe les premières vacances présidentielles, ajournant de ce fait deux Conseils des ministres, fait inédit. 

En 1976, le Fort sert le bras vengeur de Valery Giscard d'Estaing. Le président y invite son Premier ministre Jacques Chirac dans un climat délétère entre les deux hommes politiques. Le couple Chirac est installé dans une chambre secondaire, participe à dîner en présence du professeur de ski nautique du président, et servi en dernier. Déconsidéré, Jacques Chirac démissionne de son poste quelques mois plus tard, alors que Valéry Giscard d'Estaing est de nouveau en vacances à Brégançon. Amoureux du Fort, le président y sera encore lorsqu'il mène sa campagne pour la présidentielle de 1981. Le candidat à sa réélection échouera face à François Mitterand. 

Ce dernier boude le Fort. Le message de son Premier ministre, Pierre Mauroy, en 1981, est clair : "La République n'a pas besoin de résidences secondaires". Mais François Mitterand y rencontrera tout de même le chancelier Allemand Helmut Kohl en 1985, et le Premier ministre irlandais Garret FitzGerald, ainsi que des grévistes de la SNCF. En 1995, il y organise une conférence de presse pour démentir les rumeurs relatives à sa maladie. Dans le même registre, Jacques Chirac recevra son Premier ministre Dominique de Villepin en 1997, et aussi le président algérien Abdelaziz Bouteflika en 2001, alors que les tensions sont vives avec le pays d'outre-Méditerranée. 

Le rejet du Fort, synonyme de "normalité"

Nouveau scandale en 2010, quand François Fillon se rend en tenue de campagne à une réunion ministérielle organisée par Nicolas Sarkozy au Fort de Brégançon. Enfin, le président François Hollande s'éloignera de l'ombre du Fort, dans un objectif de normalisation de la fonction présidentielle qui cadre avec son image. Il délaisse Brégançon pour l'ouvrir aux visites, gérées par le Centre des Monuments nationaux, dans un but à la fois patrimonial et financier. Un exercice de "banalité" compromis par l'achat par la Première dame Valérie Trierweiler de coussins particulièrement onéreux pour le Fort. "À croire que mes coussins étaient brodés avec du fil d’or", s'amusera François Hollande dans son livre Les leçons du pouvoir (2018).